Barbablog

Numérique et politique

J’ai été invité à intervenir au FIC dans le cadre d’une table ronde intitulée Peut-on être réellement anonyme sur Internet. Ce fut l’occasion d’ouvrir un dialogue sain et d’évoquer la nécessité de l’anonymat en ligne devant un parterre de cybe-barbouzes .

Pourquoi être anonyme sur Internet

La question « Peut-on être anonyme sur Internet » n’a pas vraiment de sens. Une table ronde d’une heure, avec cinq intervenants, d’horizons différents, n’est pas la configuration idéale pour faire le tour d’un sujet aussi vaste. Mais avant même de répondre au comment – car évidemment la réponse est oui, on peut être anonyme sur Internet – il faut répondre au pourquoi. Pourquoi est-il absolument vital d’avoir la possibilité d’être anonyme sur Internet ?

Au Vietnam

Dans certains pays totalitaires on peut aller prison un billet de blog. Au Vietnam, toute critique du régime en place est sévèrement punie. Pour ne prendre l’exemple que d’un seul parmi les 34 blogueurs actuellement emprisonnés, Paulus Lê Son a été condamné à 15 ans de prison pour avoir écrit un billet demandant des réformes démocratiques.

En Iran

En Iran, les journalistes de Khabarnegaran.info écrivent tous sous pseudo. Ce site traite de la pratique journalistique en Iran, un sujet sensible et sur lequel les autorités locales son assez chatouilleuses. Dans un article publié en novembre 2013, Niki Azad (un pseudo) critiquait l’enthousiasme de la presse iranienne après l’élection du président « modéré » Hassan Rohani. Dans cet article, Niki cite deux journalistes, Ali Asgar Rameznapour et Jilatous Banyaghoub. Le premier a été contraint à l’exil, la seconde, a été interdit d’exercer le métier de journaliste pour une durée de 30 ans. Tous deux avaient, quelques années plus tôt, manifesté un peu plus d’esprit critique que leurs contemporains. Citer le nom de journalistes emprisonnés en exil est interdit par le Haut Conseil de Sécurité nationale et d’autres autorités de régulation de l’information telles que le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique ou le procureur de Téhéran. Sans pseudo, Niki aurait probablement subi le même sort que Jilatous ou Ali Asgar.

En France

A moins que vous ne fassiez partie de la frange de la population qui a oublié d’utiliser son cerveau ces 15 derniers mois et que vous ne soyez membre ou sympathisant du Printemps français, ce rassemblement poujadiste, hétéroclite et ridicule dont le nom seul constitue une insulte à la mémoire du Printemps des peuples de 1848 et du Printemps de Prague de 1968, vous conviendrez que la France ne s’est pas encore transformée en dictature socialiste et vous me rétorquerez :

Tu pousses un peu mémé dans les orties. On ne peut pas comparer la situation en France avec celle du Vietnam ou de l’Iran. Nous on n’a pas de rizières et puis on est le pays des droits de l’homme. On ne va pas en prison pour un nom ou même un billet de blog.

Certes. Cependant, il existe dans de nombreux corps de métier un devoir de réserve. Les fonctionnaires ne peuvent pas tout dire en public. Il en est de même pour certaines professions libérales. L’expression publique des avocats, par exemple, est soumise à certaines règles édictées par l’Ordre des avocats. Pour autant, tous ces gens ont peut être des choses intéressantes à raconter. Le cas de maitre Eolas est éclairant. Avocat, il blogue sous pseudonyme pour se conformer aux règles de l’Ordre. Il tient aujourd’hui l’un des blogs francophones les plus consultés.

Un droit inscrit dan les textes internationaux

Au delà de ces cas très pratiques, l’anonymat permet de garantir plusieurs libertés fondamentales : le droit à la vie privée et à la liberté d’opinion. Si je souhaite consulter un site d’extrême gauche ou d’extrême droite, c’est mon droit. Ce que je lis en ligne ne regarde que moi, et certainement pas mon fournisseur d’accès. Je rappelle à toutes fins utiles que ce droit est inscrit dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui sert de préambule à notre constitution en France :

Article 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

Ainsi que dans la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par 58 États membres aux Nations Unies :

Article 12 : Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

Article 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

L’anonymat, ou en tout cas le « pseudonymat », est nécessaire, y compris en France. Une fois établi le pourquoi, il convient ensuite de savoir Comment être réellement anonyme sur Internet.

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Je me permets de raccrocher avant vous pour que vous puissiez répondre à notre questionnaire.

Non.

Chaque fois qu’on me demande de noter un conseiller suite à un appel téléphonique, une prestation suite à un achat, ou la propreté des toilettes sur une aire d’autoroute, je raccroche.

Tout système d’évaluation des individus est porteur de dérives :

  • celle qui pousse l’agent qui n’a que 2 minutes pour répondre à un appel à arracher un – “j’ai bien répondu à votre question” – “non pas vraiment” – “moi je crois pourtant que si, au revoir monsieur” – 2 minutes et une réponse satisfaisante
  • ou à l’opposé du spectre, celle du système de notation sociale chinois et de son dang’an, un dossier par citoyen comprenant différents types d’éléments: des informations relatives à leur parcours scolaire et universitaire, des rapports rédigés par leur supérieur hiérarchique, l’historique de leur rémunération, la mention de leur appartenance au PCC, à son mouvement de jeunesse ou à d’autres organisations.

Donc je raccroche.

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Depuis le 12 septembre dernier, Google est jugé aux Etats-Unis pour abus de position dominante. Au cours du procès, l’un des salariés du géant de la pub en ligne a dévoilé une information bien embarrassante, l’existence du projet Mercury.

Ainsi que l’explique Megan Grey, (*) l’une des personnes assistant au procès, le projet Mercury consiste à modifier les recherches des usagers du moteur de recherche Google sans les en informer afin d’augmenter ses revenus publicitaires :

Google modifie probablement les requêtes des milliards de fois par jour dans des trillions de variations différentes. Voici comment ça marche. Supposons que vous cherchiez “vêtements pour enfants”. Google convertit votre requête à votre insu en une recherche sur “vêtements pour enfants de marque NIKOLAI”, remplaçant silencieusement votre requête réelle par une autre différente qui génère justement plus d'argent pour l'entreprise, et qui produira des résultats que vous ne recherchiez pas du tout. Il ne vous est pas possible de refuser la substitution. Si vous n'obtenez pas les résultats souhaités et que vous essayez d'affiner votre requête, vous perdrez votre temps. Il s'agit d'un centre commercial tordu dont vous ne pouvez pas vous échapper.

Pourquoi Google ferait-il cela ? Premièrement, les résultats générés pour cette requête sont plus à même de vous orienter vers le shopping, ce qui influera sur votre comportement ultérieur, à l'instar du présentoir de bonbons à la caisse d'un magasin d'alimentation. Deuxièmement, cette dernière requête génère automatiquement les annonces de mots clés placées sur la page de résultats du moteur de recherche par des magasins tels que TJ Maxx, qui paient Google chaque fois que vous cliquez sur ces annonces. En bref, c'est un moyen infaillible de se remplir les poches pour Google.

Le procès anti trust contre Google se poursuit et il y a de fortes chances de découvrir des preuves prouvant ou réfutant ces manipulations, puisque le 28 septembre dernier, la cour a établi un processus permettant au département de la justice américain de publier plus d'informations sur cette affaire. Wait and see comme on dit là-bas.


(*) Il faut préciser que Megan Grey travaille pour DuckDuckGo, un moteur de recherche concurrent de Google dont le modèle économique est fondé sur le respect de la vie privée de ses usagers.

#Procès #Google #Gafam #SansScrupules

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Si vous naviguez sur le web, il y a de fortes chances que vous utilisiez Google Chrome. Ce navigateur web est déjà utilisé par 80% des internautes dans le monde. Si c’est votre cas, changez en au plus vite.

Google vient en effet d’ajouter (le 8 septembre 2023) à son navigateur une fonctionnalité trompeusement appelée “Privacy Sandbox“. Cette fonctionnalité piste les pages web que vous visitez et génère une liste de sujets susceptibles de vous intéresser. Cette liste est ensuite partagée avec les pages web qui en font la demande à votre navigateur afin de vous servir des publicités plus pertinentes.

Pour Google, c’est une bouée de sauvetage. Il s’agit de mettre en place système visant à contourner les protection contre le pistage mises en place par Safari et Firefox afin d’assurer la pérennité de sa principale source de revenus à savoir la publicité en ligne.

Pour les utilisateurs, c’est un cauchemar. C’est l’assurance de voir vos préférences vestimentaires, alimentaires, politiques, sexuelles, etc. partagées à n’importe quel site qui en ferait la demande. Un exemple concret : vous êtes un adolescent vivant dans un État rétrograde. Vous visitez des sites que votre environnement ultra conservateur ne souhaite pas que vous visitiez. Google vous suit nativement dans Chrome et informe les sites tiers qui en font la demande de votre intérêt pour les sites LGBTQ. Ce faisant, Google vous met en danger.

Vous n'êtes PAS en sécurité avec Chrome. Changez de navigateur.

#Vieprivéee #Gafam #Google #Chrome

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L’association de défense des libertés numériques, La Quadrature du Net, a décidé de bloquer l’interopérabilité de son instance #Mastodon, mamot.fr, avec #Threads, la nouvelle application concurrente de Twitter éditée par Meta.

Selon la Quadrature la volonté de #Meta de rendre #Threads compatible avec les autres services du #fédiverse ne pourrait être qu’un cheval de Troie pour mieux tuer la concurrence en appliquant la stratégie Embrace, extend and extinguish. J’ai quand même du mal à imaginer comment une société – aussi grosse soit-elle – pourrait tuer un service décentralisé. Éventuellement en accueillant les utilisateurs actuels de Mastodon sur Threads pour un beau jour couper l’interopérabilité avec le fédiverse et les enfermer à nouveau dans un jardin clos? Ça semble difficile vu le profil de la plupart des utilisateurs du fédiverse à savoir des personnes plutôt sensibilisées aux libertés numériques et par essence méfiantes des #Gafam.

Je ne vois pas d’arguments qui tienne la route pour bloquer la communication avec Threads. Cela me semble même aller contre le sens de l’histoire. Avec une architecture décentralisée le fédiverse représente l’avenir des réseaux sociaux. Ce n’est peut-être pas le modèle dominant aujourd’hui, mais dans 5 ou 10 ans, je n’imagine pas qu’il puisse en être autrement.

Je regrette donc la décision de La Quadrature du Net et je vais donc quitter l’instance de la Quadrature, mamot.fr, pour m’installer ailleurs. Encore merci à @LaQuadrature@mamot.fr pour toutes ces années de mise à disposition du service et à bientôt sur une autre instance !

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Depuis le 9 août le petit monde de la zététique bruisse sur les réseaux sociaux. En cause, une vidéo publiée par l’une des têtes de pont de ce mouvement, @Acermendax@mastodon.social, critiquant la qualification d’experte de deux femmes travaillant sur le complotisme, Marie Peltier @marie_peltier@mastodon.social et Stéphanie Lamy @stephlamy@mastodon.online.

Suite à la publication de cette vidéo, les supporters d’Acermendax et du mouvement zététique se sont rués sur les réseaux sociaux pour dénier à leurs tours le titre d’expert à Mme Lamy et Peltier.

Acermendax vs Mme Peltier et Lamy, harcèlement ou querelle intellectuelle ? À la lecture de l’article de Cyrille Bodin, sociologue, auteur de La zététique ou les usages multiples d’une mise en récit scientiste du monde social, le doute s’évapore assez vite.

Selon lui, le mouvement zététique repose sur une matrice narrative sans nuances qui divise le monde en deux catégories :

La zététique, au-delà d’une « matrice argumentative » (Laurens, 2019), apparaît-elle sous la forme d’une matrice narrative générant un récit classificatoire, légitimiste et réducteur à propos du monde social. Cette narration permet tantôt une qualification de l’énonciateur, en produisant une image valorisante de Soi selon la figure du « révélateur » (Burgalassi, 2019), tantôt une disqualification des représentations de l’Autre, alors construites selon les figures du « profane », de « l’obscurantiste », du « complotiste », de « l’anti-vax », de « l’écologiste », du « gauchiste » ou encore du « covidiot ».

C’est précisément ce mécanisme qui est à l’œuvre dans la vidéo d’Acermendax puisque celui-ci égrène pendant près d’une heure des arguments permettant de disqualifier Mme Peltier et Lamy du titre de chercheur ou d’experte sans jamais aborder le fond, c’est-à-dire leur travail sur le complotisme.

L’article de Cyrille Bodin, paru en juin 2022, décrit enfin de manière prémonitoire les dérives du mouvement zététique :

Aussi, le mouvement montre en certaines occasions des dérives préoccupantes pour la qualité des débats publics ou scientifiques : disqualification de chercheurs ou d’institutions scientifiques, pratique du harcèlement en ligne, désignation d’ennemis « de la Science » livrés aux militants, pression sociale exercée sur des chercheurs et des lanceurs d’alerte.

Ne nous y trompons pas, la querelle entre Acermendax et Mme Peltier et Lamy n’est pas une querelle intellectuelle mais une histoire classique de harcèlement.

L’article est à lire dans son intégralité sur Cairn.info : La zététique ou les usages multiples d’une mise en récit scientiste du monde social.

#zététique

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À lire, sur les nombreuses transformations du vieux Continent plus si vieux que ça :

La façon dont on vit en Europe est en train de changer très profondément, plus vite qu’aux Etats-Unis

#Europe #Société #LeMonde #BenJudah

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Comment sauver Internet et le web social ? C’est la question que se pose The Verge et à laquelle le magazine semble avoir trouvé une réponse en la matière d’Activity Pub.

Deux événement laissent penser que le champ du web social est en passe d’être bouleversé :

  • l’apparition d´Activity Pub en 2018, un protocole qui permet de créer des réseaux sociaux décentralisés qui a notamment été adopté par Mastodon et Peertube (j’en parlais dans ce billet mi nostalgique mi optimiste, 20 ans de web) ;
  • Le rachat de Twitter par Elon Musk, le milliardaire mégalomane qui s’est donné pour mission de prouver que l’argent et l’intelligence n’ont aucun lien de causalité, et la fuite des utilisateur·ices qui s’en est suivie.

Ce n’est pas la mort de Twitter qui fera bouger le champ du web social mais plutôt la prise de conscience par ses utilisateur·ices qu’une plateforme peut changer en quelques mois – sous l’égide de son nouveau propriétaire libertarien Twitter est devenue en l’absence de modération le repaire des fascistes et des rageux de tout poil – et tout ce qu’on y a construit, son réseau social, son identité, peut disparaître en aussi peu de temps.

Activity Pub est l’outil idéal pour se prémunir des milliardaires lunatiques en mal de reconnaissance puisqu’il permet de déménager d’une plateforme à l’autre tout en y emportant son réseau et ses contenus. La grande force de ce protocole reste cependant son interoperabilité : si je crée un compte sur Mastodon, je peux communiquer avec les utilisateur·ices de cette plateforme mais aussi avec celles et ceux de Peertube, WriteFreely, Friendica, Pleroma, WordPress, Hubzilla, Pixelfed et même Threads, le clone de Twitter lancé par Meta il y a quelques semaines.

Ainsi que l’exprime David Pierce, l’auteur de l’article :

Pendant ces 15 dernières années, le web social a semblé être un marché bien établi, puis Elon Musk est arrivé.

Un grand merci donc Elon pour tout ce que tu as fait pour décloisonner le web social et redonner vie au vieil idéal des débuts d’Internet que l’on croyait désormais impossible, la décentralisation. Ne change rien champion.

#Threads #Twitter #WebSocial #RéseauxSociaux #ElonMusk #ActivityPub

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Meta a lancé Threads, une application concurrente de Twitter. Meta prévoie de connecter son nouveau service au fédiverse avec l’utilisation du protocole activity pub. Depuis cette annonce, de nombreuses instances Mastodon ont annoncé qu’elles n’autoriseraient pas la fédération de threads avec leur instance.

Pour répondre à @globcoco@mamot.fr, je suis évidemment très inquiet de la politique de Meta sur les données personnelles et leur exploitation. Aujourd’hui, 12 juillet 2023, une semaine après son lancement, Threads compte déjà plus de 10 millions d’inscrits. Il existera toujours une frange majoritaire d’internautes qui n’est pas concernée par le modèle prédateur des Gafam ou qui s’en accommode « parce que je n’ai rien à cacher » et qui de fait ne viendrons jamais sur Mastodon ou sur n’importe quel autre service du fédiverse. Pour autant faut-il s’en couper ? Faut-il tirer un trait dessus et accepter de ne jamais pouvoir discuter ensemble?

L’échange et le dialogue sont toujours salutaires. C’est pourquoi je suis en profond désaccord avec toutes les instances qui prévoient de boycotter #threadsapp. Le mot fediverse ne porte-t-il pas en lui le mot divers ? Ne soyons pas sectaires et profitons de cette chance. 10 millions d’utilisateur.ices supplémentaire connectés au fediverse ne peut être que positif.

Au pire, cela risque de faire couler Twitter version Léon Musque, et ça c’est déjà pas mal.

#threads #threadsapp #meta #fédiverse #mastodon #gafam

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Cheh Bolloré

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