Économie du partage : ils ont créé un monstre
Susan Fowler connaît bien la Silicon Valley. Après avoir passé un an chez Uber, elle a démissionné et publié un article retentissant sur le sexisme et la “bro culture” qui régnaient au sein de l'entreprise. Elle publie aujourd'hui une tribune sur la gig economy [1], également appelée hypocritement “économie du partage”, dont les start-up de la Silicon Valley sont les pourvoyeuses et les championnes les plus zélées.
La gig economy applique les méthodes de l'ingénierie logicielle au monde du travail : diviser en de multiples tâche une activité afin de la rationaliser au maximum. Elle se caractérise par le fait qu'il n'y a pas d'emploi mais uniquement des tâches ultra-spécialisées : livrer un plat, effectuer une course, garder des animaux, etc. Elle doit son nom au mot “gig” qui veut dire concert, les musiciens étant payés à la tâche, au concert, et non dans le cadre d'un contrat sur le long terme.
La gig economy permet à des jeunes boutonneux sortis d'école de commerce de se faire de la thune le cul sur une chaise à taper du code ou à remplir des tableurs excel pendant qu'une armée de petites mains se crève le cul à pédaler pour aller livrer des plats chauds, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, à des “utilisateurs finaux”, ces êtres étranges qui n'ont plus le temps ou plus le *courage *de sortir pour acheter trois légumes et un bout de pain.
Le véritable problème avec la gig economy ce n'est pas tellement qu'elle crée des armées d'obèses fainéants, c'est surtout qu'elle détruit des emplois classiques, chauffeurs, livreurs, ainsi que les systèmes de protection sociale et de mutualisation des risques qui va avec.
Aux États Unis, on estime que 34% des emplois relèvent de la gig economy. Comme les américains sont toujours en avance d'une connerie sur le vieux continent, on peut aisément imaginer que la part de petits boulots distribués par des plate-formes créées par des boutonneux d'école de commerce ne va faire qu'augmenter en France et en Europe dans les années à venir. Le nombre de cycliste deliveroo ou de chauffeur uber dans les rues des grandes villes de France en atteste : la gig economy n'est pas une mode, c'est une tendance.
Aujourd'hui seuls les emplois peu qualifiés sont touchés. C'est un problème de pauvre. Donc ça va. Si t'as fait des études, pas de quoi flipper. Pourtant Susan Fowler nous avertit : si des ingénieurs sont capables de diviser en de multiples tâches un emploi de chauffeur ou de livreur pourquoi ne sauraient-ils pas le faire avec des emplois plus qualifiés tels que manager ou même développeur ?
The risk, we agreed, is that the gig economy will become the only economy.
Le risque est que l'économie des petits boulots devienne la seule économie
Dans une prise de conscience tardive, les boutonneux de la Silicon Valley s'écrient donc en chœur avec Susan Fowler : “Qu'avons nous fait ? Nous a avons créé un monstre”.
Sans déconner.
À lire : “What Have We Done?”: Silicon Valley Engineers Fear They've Created a Monster | Vanity Fair
- littéralement l'économie des petits boulots